Rwanda: Attentat contre l’avion de l’ancien Président rwandais : Les révélations du Journal Libération ne sont ni nouvelles ni probantes
Parce que la mémoire de l’opinion publique est fugace, certains journalistes recyclent du vieux en le présentant comme du neuf. Dans un but inavoué d’enfumage de ladite opinion, de pression sur le nouveau gouvernement français et sur les juges français chargés de l’instruction du dossier de l’attentat aérien du 6 avril 1994 qui a coûté la vie au Président rwandais Juvénal Habyarimana, le journal français Libération, dans sa livraison du 1er juin 2012, « révèle » qu’une quantité «indéterminée» de «missiles sol-air de type SA-7» de fabrication russe ainsi que «15 missiles sol-air de type Mistral» de fabrication française et dont la vente était interdite, figuraient dans l’arsenal des Forces armées rwandaises (FAR) défaites en 1994.
La suggestion de la journaliste Maria Malagardis est limpide et implacable : selon la journaliste, ces missiles Mistral auraient été utilisés par l’ancienne armée pour liquider physiquement le Président Juvénal Habyarimana et ainsi donner le signal à la perpétration du génocide. En même temps, elle ôte, dans ce très grave crime, toute imputabilité à l’ancienne armée rebelle du Front patriotique rwandais (FPR), aujourd’hui au pouvoir au Rwanda.
En effet, selon les experts balistiques mandatés par le Juge Trevidic, ces deux types de missiles ont été écartés de la liste des armes du crime dans l’attentat du 6 Avril 1994. Les missiles de type SA-7 ne peuvent être utilisés de nuit tandis que les missiles de type mistral ont été jugés « trop récents » et « trop sophistiqués »: la première exportation date de 1996 pour le Mistral 1 et le Mistral 2 n’est produit que depuis l’an 2000. Le type de missiles utilisés dans cet attentat a été reconnu par tous les experts balistiques qui se sont penchés sur la question comme étant des missiles de type SAM-16 de fabrication russe et dont les lances missiles retrouvés sur le lieu du crime ont permis d’établir la traçabilité. Ils auraient fait partie d’un lot d’armements commandés en Russie par l’Ouganda alors allié au FPR.
Les prétendus secrets du Journal Libération ne peuvent pourtant pas résister à l’épreuve des faits et des arguments que le Comité de coordination des FDU Inkingi vous expose ci-après :
1. Le document divulgué par le journal Libération ne constitue en rien un fait nouveau puisqu’il est connu depuis au moins seize ans par tous les spécialistes du Rwanda. Présenté comme élément de preuve devant le Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR), ce dernier l’a définitivement écarté en raison de sa faible consistance.
2. Aucun des acteurs clés de la Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR), pourtant très bien au fait de la réalité de l’armement des anciennes FAR, n’a jamais fait mention ni confirmé une telle présence de missiles Mistral. Il s’agit du Représentant spécial des Nations Unies et Chef de la MINUAR, Monsieur Jacques-Roger Booh Booh, du Commandant de la mission, le Général Roméo Dallaire, enfin, du Commandant du Secteur de Kigali, le Colonel Luc Marchal. Ce dernier, en même temps commandant du Bataillon belge, lequel constituait l’ossature essentielle de la MINUAR, approché par nos soins, a précisé deux choses :
« 1. le capitaine Sean Moorhouse qui a rédigé le rapport en question ne faisait pas partie de la MINUAR au moment de l’attentat, ce n’est que bien plus tard qu’il est arrivé sur place.
2. il est évident que si les FAR disposaient de missiles de type SA-7 et MISTRAL je n’aurais pas pu ne pas le savoir ; en outre, posséder simplement des missiles sol-air est une ineptie car cela implique toute une chaîne logistique et une infrastructure d’entraînement adaptées, ce qui n’était pas le cas ; il faut savoir que l’aptitude au tir exige un entraînement très, très régulier sur simulateur à défaut de pouvoir procéder à des tirs réels ; or ce genre d’infrastructure n’existait pas » !
3. Depuis la signature d’un accord de consignation des armes dans la ville de Kigali entre le chef d’Etat-major de l’armée rwandaise et la MINUAR fin 1993, toute la liste des armes était connue et c’est la MINUAR qui avait les clés des magasins d’armes et contrôlait les armes et munitions dans tout Kigali, conformément audit accord, cela, en collaboration avec les services logistiques de l’armée rwandaise. Comment la possession et l’entrepôt de tels missiles aient pu échapper à la vigilance du contingent militaire onusien et comment la liste des armes consignées a-t-elle pu oublier d’en faire mention.
4. Contrairement à l’opinion largement répandue, ce n’est pas que la seule France qui entretenait la coopération militaire avec le Rwanda avant 1994, les coopérations militaires belge et allemande y étaient aussi actives sur place. Les Etats-Unis eux-mêmes accordaient des bourses d’études à des officiers dans leurs grandes écoles de guerre. Avec les connexions et le renseignement militaire qui se nouent à l’occasion de ces relations, il est aisé de saisir que ces trois pays auraient été informés de l’existence d’un tel armement, par ailleurs prohibé.
5. La détention d’armes d’un tel calibre exige une formation spécialisée, un entraînement régulier ainsi qu’une infrastructure coûteuse et appropriée. Or, il est de notoriété publique qu’aucun militaire des ex-FAR n’a été formé au maniement des missiles sol-air et il n’est pas connu d’équipements de simulation ni de zone militaire d’entraînement réservé au guidage et au tir de tels armes.
6. Le Document confidentiel du 7 mars 1993 signé à Bujumbura entre le Gouvernement rwandais de coalition dirigée à l’époque par l’opposition au régime Habyarimana et le FPR relatif aux modalités de retrait des troupes étrangères prévoyaient que les troupes françaises allaient se retirer dès l’entrée à Kigali des troupes de la MINUAR. Ce fut chose faite fin novembre 1993. On s’imagine alors mal comment des soldats français sont rentrés chez eux en laissant derrière eux, à l’air libre, un équipement sophistiqué récent, recherché par des services de renseignement concurrents, dont il savait interdit d’exportation, de surcroît sans militaires formés pour son utilisation laissés sur place.
7. Jusqu’en avril 1994, toute demande d’importation de matériel militaire requérait l’approbation de la Banque nationale du Rwanda et du Gouvernement, à travers le ministre des finances. Cette fonction était assurée par Monsieur Marc Rugenera, un ministre de l’opposition très proche du FPR. Il a par ailleurs continué à exercer cette fonction après la victoire militaire du FPR. On peut se demander à juste titre pourquoi, jusqu’à aujourd’hui, le nouveau régime rwandais n’a montré, ni les pièces documentaires établies par la Banque, ni la décision ministérielle d’autorisation d’importation des missiles Mistral.
8. Enfin, dès lors que la partie avec laquelle les FAR étaient en guerre ne possédait pas d’unités aériennes de combat, quel était finalement l’intérêt à détenir dans leur arsenal 15 missiles sol-air ? Juste pour abattre un jour l’avion présidentiel ? L’argument s’avère très peu convaincant.
Le Comite de coordination des FDU Inkingi est d’avis que, au moment où de nouveaux témoins ayant exercé des fonctions très élevées au sein du FPR, par exemple le major Théogène Rudasingwa, ancien secrétaire général du FPR, ancien ambassadeur du Rwanda aux Etats-Unis et ancien directeur de Cabinet du Président Kagame, sont dernièrement venus déposer leurs témoignages devant la justice française, témoignages mettant en cause la responsabilité directe de certains membres du commandement de l’armée du FPR, la livraison du Journal Libération apparaît comme une simple manipulation destinée à éviter que la vérité sur la responsabilité du Président Paul Kagame dans cet attentat n’éclate, ce qui devient de plus en plus probable. Le Comité de coordination des FDU Inkingi demande au nouveau gouvernement français et à l’opinion publique de ne prêter aucun crédit à l’article de Madame Maria Malagardis, lequel s’avère une diversion de mauvais goût destiné à travestir la vérité et à manipuler les juges dans une affaire très grave qui mérite notre plus grande attention, puisqu’elle a été le déclencheur d’un génocide.
Fait à Lausanne (Suisse), le 3 juin 2012
Le Président du Comité de coordination des FDU Inkingi
Dr Nkiko Nsengimana